Au Vietnam, l'Eglise n'a pas peur. Le régime communiste, oui

 

DTC

 

  par Sandro Magister

Parce qu'il voit en l'Eglise catholique un lieu de liberté, une liberté que tous désirent. Alors, il l'opprime, pour enrayer la contagion. Reportage d'un envoyé sur place

 

 

 ROMA, le 22 octobre 2008 – Parmi les participants au synode actuellement en cours au Vatican figurent deux évêques du Vietnam: celui de Nha Trang, Joseph Vo Duc Minh, et celui de Thanh Hóa, Joseph Nguyên Chi Linh.

Ce dernier, prenant la parole le matin du 13 octobre, a dit que l’Eglise du Vietnam était l’"une des plus éprouvées par des persécutions sanglantes et constantes".

Mais tout de suite après, il a rendu courage à l’assistance avec cette phrase de la constitution conciliaire "Gaudium et Spes":

"L’Eglise reconnaît que, de l'opposition même de ses adversaires et de ses persécuteurs, elle a tiré de grands avantages et qu'elle peut continuer à le faire".

Comme preuves de cet "avantage" il a cité la floraison de conversions au Vietnam et le respect croissant que suscitent les catholiques par leur défense de la maternité dans un pays où le taux d’avortement est très élevé.

Dans la salle du synode l’évêque n’en a pas dit plus pour décrire les souffrances actuelles des catholiques vietnamiens. Mais les informations diffusées chaque jour par des agences comme "Asia News" et "UCA News" montrent que les difficultés augmentent. Pour avoir affirmé, après une rencontre infructueuse avec des dirigeants du régime communiste, que la liberté religieuse "est un droit, pas un privilège", l'archevêque de Hanoi lui-même, Joseph Ngo Quang Kiet, a été attaqué. Le maire de la ville, Nguyên The Thao, étoile montante de la scène politique vietnamienne et probable futur premier ministre, a demandé sa destitution.

A son tour, Nguyên Tan Dung, l’actuel premier ministre, s’est fait menaçant et a déclaré que si les revendications des catholiques ne cessaient pas, "elles auraient un impact négatif sur les rapports entre le Vietnam et le Vatican", qui n’entretiennent pas de relations diplomatiques.

Au Vietnam, le Saint-Siège n’est pas pleinement libre de choisir les nouveaux évêques. Selon le système actuel, Rome présente à chaque fois trois candidats, parmi lesquels les autorités vietnamiennes excluent ceux qui leur déplaisent. Les deux dernières nominations selon ce système ont été rendues publiques le 15 octobre dernier.

Quatre mois plus tôt, en juin, une délégation du Saint-Siège s’était rendue au Vietnam en visite officielle. Le communiqué publié à la fin de la mission avait fait naître des espérances, mais elles ont été rapidement anéanties par les faits.

Le reportage ci-dessous, à paraître dans le prochain numéro de l’hebdomadaire milanais "Tempi", donne un tableau des difficultés actuelles de l’Eglise catholique au Vietnam:

Au pays de l’oncle Hô

  par Lorenzo Fazzini

"Vous ne connaissez pas les communistes. Si je vous raconte ouvertement tout ce qu’ils font contre l’Eglise, demain ils m’arrêtent et me mettent en prison". L’évêque vietnamien qui me fait cette confidence écarte les bras, désolé. Parce que finir en prison à cause de sa foi est une éventualité réaliste dans un pays où le Parti est encore, à la mode soviétique, un dieu.

En termes plus diplomatiques, le cardinal Jean-Baptiste Pham Minh Manh, archevêque de Hô Chi Minh Ville, admet que "la situation est difficile". Ces mots suffisent à évoquer cette fiction de la "liberté" religieuse qui écrase l’Eglise au Vietnam. "L’Eglise est libre mais n’a pas le droit de l’être", affirme le cardinal en m’ouvrant les portes de sa résidence, proche de la cathédrale Notre-Dame, en plein centre de la ville. Face à l’évêché, sur la façade de l’ancien palais du président du Sud-Vietnam, trône un panneau rouge de propagande qui associe le slogan "Le Parti communiste, le gouvernement et le 5e district populaire te disent: étudie et suis l’exemple de l’oncle Hô" à un portrait du père de la patrie qui sourit dans sa barbiche blanche.

Au Vietnam les catholiques représentent 8% des 84 millions d’habitants et l’Eglise jouit d’un prestige social incontesté même chez les non-chrétiens mais, depuis la fin de l’été dernier, les tensions latentes sont arrivées à un point de rupture. Le conflit porte sur des terrains, bâtiments et structures ayant appartenu à l’Eglise et confisqués par le Viet Minh après qu’il eut pris le pouvoir à Hanoi, au Nord, en 1954; d’autres biens ont été confisqués au Sud en 1975, après l’occupation de Saïgon, l’actuelle Hô Chi Minh Ville. Aujourd’hui, l’Eglise redemande ces biens à un pays qui commence à s’ouvrir aux libertés économiques et qui fait partie depuis 2006 de l'Organisation Mondiale du Commerce, la WTO.

Pendant plus de dix ans – jusqu’au milieu des années 80 – les églises ont été fermées par les communistes. A Dalat, deuxième centre universitaire du pays, la chapelle de l’université a subi une transformation étonnante: au lieu de la croix, c’est une étoile rouge de style soviétique qui se dresse aujourd’hui sur le clocher. Les séminaires sont devenus des bâtiments publics. A Huê, l’ancienne capitale impériale, le petit séminaire où étudia le futur cardinal Nguyên Van Thuân, martyr de la foi, emprisonné pendant 13 ans, est devenu l’hôtel le plus luxueux de la ville. Le carmel de Hanoi – Sainte Thérèse de Lisieux rêvait d’y venir comme missionnaire – a été transformé en hôpital. Dans la capitale, une église située à quelques pas de l’ambassade d'Italie est devenue un entrepôt.

Suite à des cas de corruption éhontée – des terrains vendus à des sociétés d’état ou privées après versement de pots-de-vin importants aux fonctionnaires gouvernementaux – les catholiques sont descendus dans la rue. Pour prier, comme l’explique la conférence des évêques du Vietnam qui réunit les évêques des 27 diocèses du pays. L’Eglise exige la restitution de biens dont elle a aujourd’hui plus besoin que jamais pour accueillir un nombre croissant de fidèles: rien qu’à Hô Chi Minh Ville, 9 000 adultes sont baptisés chaque année. Fidèles et pasteurs posent une simple question: dans un Vietnam dont le taux de croissance économique est de 8% par an, avec des sociétés japonaises et “yankee” qui investissent, des gratte-ciel qui poussent comme des champignons à côté d’hôtels de luxe (à Nha Trang, une ville côtière, l’évêché est maintenant entouré d’un nouvel hôtel Hilton à droite et de deux tours futuristes à gauche), l’Eglise n’a-t-elle pas le droit de se faire rendre des biens et propriétés pris de force il y a trente ans?

A la mi-août, dans la banlieue de Hanoi, les fidèles de la paroisse de Thai Ha, tenue par les rédemptoristes, ont commencé à manifester pacifiquement. Une société d’état veut construire une route sur un terrain de 14 000 m2 que, d’après les allégations erronées des autorités, les religieux auraient cédé à l’Etat dans les années 60. La police est intervenue avec des bâtons électriques et des gaz irritants contre des personnes âgées et des enfants. Six personnes ont été arrêtées. Pourquoi?

"Parce qu’ils priaient pacifiquement. C’est une violation inacceptable des droits de l’homme, écrivez-le et dites-le au monde". Mgr Joseph Ngo Quang Kiet, archevêque de Hanoi depuis un peu plus de 3 ans, n’a pas peur de protester contre ce qui est arrivé à Thai Ha et ailleurs. Maintenant il est dans l’œil du cyclone, pour avoir pris parti pour la paroisse des rédemptoristes puis dirigé la plus grande manifestation de protestation non-violente dont on se souvienne à Hanoi depuis 1954.

Le 21 septembre, 10 000 personnes se sont réunies pour prier sur la place de l’ancienne nonciature, qui jouxte l’évêché de Hanoi, dans un quartier très central, Hoàn Kiem. La protestation répondait au fait que deux jours plus tôt, après neuf mois de négociations avec les autorités de la capitale, des bulldozers et des ouvriers escortés par l’armée et la police étaient entrés de nuit, à l’improviste, sur le terrain de l’ancienne délégation apostolique pour y réaliser un parc public.

"Ils ne nous ont pas avertis, ils ont tout fait de manière unilatérale et ils ont interrompu le dialogue qui durait depuis des mois" se plaignent les dirigeants de l’Eglise du Vietnam. Le cardinal Pham Minh Manh renchérit: "J’ai rappelé publiquement que la politique de l’Eglise se base sur un dialogue fondé sur la vérité, la justice et la charité. Mais ce dialogue est difficile parce que le mot dialogue n’existe même pas dans le vocabulaire communiste, pas plus que le mot solidarité".

Aujourd’hui les prières de protestation sont suspendues, les travaux de construction aussi. Mais, entre temps, Mgr Kiet a été spécialement surveillé pendant plusieurs semaines. Quand on lui rendait visite, on passait entre des magnétophones, des appareils photo et des caméras dissimulés tout autour de l’évêché pour identifier tous ceux qui s’en approchaient. Ce n’est qu’après la première semaine d’octobre que cet évêque de 56 ans qui a fait des études à l’Institut Catholique de Paris et a dirigé deux diocèses du Nord – où la répression communiste a réduit le nombre de fidèles à 6 000 – a pu réapparaître en public. Pour assister à l’ordination épiscopale du nouvel évêque de Bac Ninh, à 30 kilomètres au nord de la capitale, les fidèles l’ont presque renversé par désir de lui manifester leur solidarité dans son action courageuse en faveur de la liberté de l’Eglise.

En effet, ce qui pourrait passer pour une simple question d’urbanisme est en fait un acte de répression contre l’Eglise. Des représentants autorisés du catholicisme vietnamien ont des arguments convaincants pour expliquer pourquoi cette affaire – la restitution des biens confisqués – est la ligne de résistance dont dépend l’avenir du catholicisme au pays de l’oncle Hô.

"A maintes reprises nous avons demandé au gouvernement, par courrier, de nous rendre nos propriétés, dont nous avons les papiers. La plupart du temps, les autorités n’ont même pas répondu. Elles ont parfois dit: nous étudions l’affaire, nous faisons des évaluations", explique le père Thomas Vu Quang Trung, provincial des jésuites à Thu Duc, en banlieue de Saïgon. "En 1975, après l’expulsion des religieux étrangers, le gouvernement a fait un raisonnement simple: vous êtes trop peu nombreux pour toutes ces structures, nous les prenons pour le peuple".

Le père Trung écarte les bras: "On peut accepter qu’ils utilisent nos anciennes propriétés, comme notre maison de Dalat, pour le bien commun, c’est-à-dire pour les transformer en écoles ou en hôpitaux. Mais en faire une discothèque, comme c’est arrivé à un établissement de sœurs à Hô Chi Minh Ville, ça non! Notre noviciat de Hue est devenu un supermarché. Nous continuons à faire des demandes de restitution également parce que c’est un problème qui concerne non seulement les catholiques, mais toutes les confessions religieuses et même les gens ordinaires, le peuple. Les deux litiges dans le Nord – l’ancienne nonciature de Hanoi et la paroisse rédemptoriste – ne portent pas que sur la propriété d’un terrain, mais sur la manière de rendre la justice".

Ancien supérieur des salésiens, le père John Nguyen Van Ty, conseiller du cardinal Pham Minh Manh, est encore plus explicite: "Les autorités craignent un effet domino: s’ils cèdent sur Hanoi, il y a un risque que toutes les religions formulent leurs réclamations au nom de la justice. Selon certains, cette affaire de Hanoi pourrait être l’étincelle qui met le feu aux poudres. Les catholiques du Vietnam sont unis, ceux de la diaspora aussi: nous ne cédons pas, c’est une question de justice, pas de liberté religieuse mais de droit. Le Vatican a raison de ne pas intervenir à ce sujet qu’il considère comme un problème de l’Eglise locale. Sinon, l’affaire serait perçue comme une question uniquement confessionnelle alors que c’est un problème de justice. Bien sûr, il y a des actes graves d’intimidation: menaces contre l’archevêque, incursions de bandes violentes, arrestations de catholiques, insultes quotidiennes contre l’Eglise dans les médias. Les communistes ont peur des catholiques qui sont, dans tout le pays, la plus forte des religions organisées. Mais des intellectuels, professeurs d’université, étudiants, journalistes, commencent à comprendre la vérité, c’est-à-dire que le communisme est oppresseur, et à voir dans l’Eglise un lieu de liberté".

Pour le père François-Xavier Phan Long, responsable de la province franciscaine, les évêques vietnamiens ont eu bien raison d’"enfoncer le clou" de la propriété privée en demandant publiquement au gouvernement de revoir la loi – "dépassée et datée" comme l’a dit le président de la conférence des évêques, Mgr Pierre Nguyen Van Nhon – qui n’attribue qu’à l’Etat la possession de la terre.

"Je suis heureux que les évêques aient, pour la première fois, pris une position commune sur un problème concret. En général, à la fin de leur assemblée annuelle, ils publiaient un communiqué portant sur des questions très générales", explique le père Long dans son bureau, au centre de Hô Chi Minh Ville. "Cette fois, ils ont innové en traitant une question chaude comme celle de Hanoi, en insistant sur un dialogue franc et direct avec les autorités. Nous ne savons pas si la loi sur la propriété privée changera, mais nous l’espérons. Moi, j’ai déjà dit quelque chose aux autorités...".

Et qu’a-t-il dit? Le père répond: "Quand les affaires de Hanoi ont commencé, le ministère de la Sécurité Publique m’a convoqué et m’a demandé mon avis sur ce qui arrivait. Je les ai avertis que si, à l’avenir, le gouvernement s’emparait de propriétés des franciscains, nous serions prêts à lutter. Pacifiquement, parce que nous sommes des fils de saint François. Mais en tout cas nous ne sommes pas prêts à renoncer à la lutte".

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L’hebdomadaire qui publie ce reportage, dans le numéro vendu le jeudi 23 octobre:

>> Tempi

Lorenzo Fazzini, auteur du reportage, a aussi publié un long article sur le Vietnam dans le numéro du 16 octobre 2008 d’"Avvenire", le quotidien de la conférence des évêques d’Italie:

>> Avvenire

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Pour une mise à jour permanente des nouvelles du Vietnam, les deux agences suivantes sont de bonnes sources:


> Asia News

> UCA News

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Le communiqué émis le 17 juin 2008 par le Saint-Siège après la visite de la délégation officielle qu’il avait envoyée au Vietnam:



> "La delegazione della Santa Sede..."

Et le compte-rendu d’une précédente visite, rédigé par le chef de la délégation du Vatican, Mgr Pietro Parolin:

> Pâques au Vietnam: un compte-rendu exceptionnel (5.4.2007)

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Le dernier article de www.chiesa à ce sujet:


> La révolution pacifique des catholiques au Vietnam (28.5.2008)

Et un portrait du cardinal vietnamien François-Xavier Nguyên Van Thuân, mort en 2002 et en cours de béatification:

> Nguyên Van Thuân. Il cardinale martire (17.9.2002)

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Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.

__________ 22.10.2008